Cinq ans après l’explosion du télétravail provoquée par la pandémie de Covid-19, cette organisation du travail s’est imposée comme un acquis social incontournable, notamment dans les petites et moyennes entreprises (PME). Ce qui n’était qu’une mesure d’urgence en 2020 est désormais un pilier structurel dans de nombreuses entreprises françaises. Si les modalités varient, la tendance de fond est claire : le télétravail est là pour rester.
Selon les données récentes de l’Apec, 60 % des cadres en PME pratiquent aujourd’hui le télétravail régulier, contre 56 % en 2021. Dans l’ensemble du secteur privé, un salarié sur cinq travaille désormais à distance, contre seulement 4 % avant la crise sanitaire. Loin d’être une mode passagère, le télétravail s’est donc inscrit dans la durée, transformant durablement les habitudes de travail.
Cette transformation est particulièrement notable dans les PME, longtemps perçues comme plus réticentes ou moins équipées pour adopter le télétravail. Pourtant, la réalité de terrain montre un pragmatisme croissant des dirigeants, qui ajustent les modalités selon leurs contraintes opérationnelles, tout en répondant aux attentes des salariés.
À l’image de Market Pay, fintech de 50 salariés basée près de Caen, de nombreuses PME ont instauré une organisation hybride. Dans cette entreprise, la charte de télétravail autorise jusqu’à trois jours par semaine à distance, avec présence obligatoire les lundis et jeudis pour favoriser la cohésion et les points d’étape. Ce modèle mixte, jugé plus souple, est plébiscité, même s’il implique de réinventer les rituels collectifs, en particulier pour l’intégration des nouveaux arrivants.
La PME Pimpant, spécialisée dans les produits d’hygiène durables, va plus loin en adoptant un modèle 100 % télétravail couplé à la semaine de quatre jours. Une stratégie assumée par son fondateur, qui y voit un levier de performance : « Ce n’est pas un cadeau, c’est un critère de recrutement des meilleurs talents, les plus autonomes. »
Ce mode de fonctionnement est encadré par une organisation rigoureuse : objectifs trimestriels, reportings hebdomadaires, et réunions régulières dans des lieux dédiés pour maintenir la cohésion d’équipe. Un exemple de l’agilité avec laquelle certaines PME tirent parti des nouvelles possibilités offertes par le travail à distance.
L’un des changements les plus profonds induits par la généralisation du télétravail est son impact sur le recrutement. Alors que les tensions sur le marché de l’emploi persistent, notamment pour les profils qualifiés, les PME ne peuvent plus faire l’impasse sur cette attente forte des candidats. En 2021, seules 20 % des PME voyaient le télétravail comme un enjeu de recrutement ; elles sont désormais près de la moitié (46 %) à considérer son absence comme un frein majeur à l’embauche de cadres, selon l’Apec.
Dans cette quête d’agilité et d’attractivité, une solution connaît également un regain d’intérêt : le portage salarial. Cette forme d’emploi hybride permet aux entreprises de collaborer avec des experts autonomes tout en leur offrant un cadre sécurisé – une combinaison parfaitement alignée avec les nouvelles pratiques du travail à distance. Le portage salarial devient ainsi une alternative souple pour les PME qui souhaitent élargir leur vivier de compétences sans pour autant s’engager dans des embauches classiques. C’est aussi un outil stratégique pour accéder à des profils pointus, souvent déjà familiers avec le télétravail.
Cependant, le télétravail ne fait pas l’unanimité. Certaines entreprises, comme Stradim, promoteur immobilier basé à Entzheim, ont choisi de rester en marge du mouvement. Pour son dirigeant, le télétravail nuit à la socialisation et à la productivité de certaines fonctions. Il invoque également les contraintes techniques ou économiques, comme le surcoût d’équipements spécialisés.
D’autres dirigeants, comme Thomas Felfeli d’Acteos, ont tenté de réduire les jours de télétravail, avec des conséquences immédiates : incompréhension des salariés, départs pour la concurrence et tensions internes. Ces cas illustrent combien le télétravail est désormais perçu par les salariés comme un droit acquis, dont toute remise en cause nécessite une grande prudence dans la gestion du dialogue social.
Si le télétravail offre de nombreux avantages – flexibilité, attractivité, gain de temps de transport –, il impose également de nouveaux défis managériaux. La cohésion d’équipe, l’égalité entre les salariés (tous les postes n’étant pas télétravaillables), et la formation des managers à la gestion à distance sont autant de sujets à adresser avec sérieux.
Selon Maxime Legrand, de la CFE-CGC, « le télétravail n’a pas encore révélé tout son potentiel. Il reste à mieux former les managers, organiser le retour sur site de manière régulière, et créer un cadre équilibré entre performance et bien-être. »
Le télétravail dans les PME françaises n’est plus une expérimentation temporaire. Il s’est imposé comme une nouvelle norme, façonnée par les exigences des salariés, les réalités économiques et l’évolution des modes de travail. Pour les dirigeants, le défi consiste désormais à faire du télétravail un levier de performance durable, en l’inscrivant dans un cadre clair, équitable et évolutif.
Alors que certaines grandes entreprises américaines amorcent un retour en arrière, la France semble avoir trouvé une forme de stabilité, faite de compromis, d’adaptations et de souplesse. Un modèle « à la française », hybride et humain, qui reflète la capacité des PME à innover dans leurs pratiques sociales.
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